Grève des médecins libéraux en janvier 2026 : le DMP au cœur de la colère
DMP, un outil numérique devenu casus belli
Dans un communiqué cité par TF1 Info (AFP), les syndicats dénoncent : « Jamais un gouvernement n'avait accumulé autant d'attaques » contre la médecine libérale « en si peu de temps ».[1] Au fil des débats budgétaires, le DMP a cessé d’être un dossier technique : il est devenu, pour une partie de la profession, le symbole d’une médecine pilotée par la norme et la traçabilité.
La présidente de la Fédération des médecins de France (FMF), la Dre Patricia Lefébure, met en avant un grief d’usage : « Le DMP ne sert à rien, on ne retrouve rien dessus. Trouver les 4 dernières prescriptions ca va, mais pour le reste ».[1] Le président du Bloc, Philippe Cuq, place la question sur le terrain de la proportionnalité : « Comment peut-on imposer des sanctions qui pourront aller jusqu'à 100.000 euros par établissement ou 25.000 euros par médecin pour la non-utilisation d'un outil qui ne marche pas ».[1]
Une sanction chiffrée, encore suspendue aux textes d’application
Sur le papier, la mécanique est détaillée dans les synthèses de fin de navette. Selon les éléments rassemblés dans PLFSS 2026 : dernières mesures pour les soignants avant le vote, les dispositions relatives au DMP prévoient des sanctions administratives « jusqu’à 2 500 € par manquement » pour un praticien (plafond 10 000 € par an) et « 25 000 € par manquement » pour un établissement (plafond 100 000 € par an).[3]
La portée pratique de ces chiffres reste toutefois dépendante d’un second étage réglementaire : le même article souligne que les textes d’application devront préciser le périmètre documentaire (comptes rendus, prescriptions, résultats), les cas d’exemption et les modalités de contrôle.[3] Autrement dit, la ligne de fracture actuelle se joue autant sur l’annonce de l’amende que sur l’incertitude quant à ce qui, demain, sera considéré comme un « manquement ».
CNAM : un outil contre le boycott, pas une « sanction de masse »
De son côté, la Caisse nationale de l’Assurance maladie (CNAM) conteste l’idée d’un filet répressif destiné à s’abattre sur l’ensemble des cabinets. Dans Egora, l’Assurance maladie assume une visée dissuasive face à des actions coordonnées, tout en revendiquant un ciblage : « L'idée n'est évidemment pas d'être derrière chaque médecin pour vérifier s'il alimente ou s'il consulte, ce n'est pas un dispositif de sanction de masse ».[2]
L’article d’Egora rappelle, en outre, que la pénalité vise aussi à contrer des stratégies de boycott du DMP, envisagées comme un moyen de pression dans la séquence budgétaire.[2]
« Imposer des obligations ou des sanctions est inacceptable »
Dans un article publié le 23 décembre 2025, Le Figaro (avec AFP) reprend le même ressort narratif, mais en lui donnant une épaisseur de terrain : l’obligation de déposer des documents dans le DMP (ordonnances, comptes rendus, lettres d’adressage) et l’obligation, pour certains actes, de consulter le dossier avant prescription, sous peine de sanctions annuelles pouvant atteindre 10 000 euros.[9]
Le journal relaie également la formule de la CSMF, devenue une bannière de la contestation : « Imposer des obligations ou des sanctions aux médecins sans leur donner les moyens techniques adaptés est inacceptable ».[9] Dans la même veine, deux généralistes décrivent un outil qui, selon eux, ne soutient pas l’exercice au quotidien.
Le Dr Thomas Maunoury (Nord) juge le DMP « assez vieillot », entaché de « bugs », au point de donner le sentiment d’un retour en arrière ; il regrette qu’« même pour quelqu'un d'aguerri, il faut 30 secondes » pour se connecter et compare le résultat à « un livre avec beaucoup de pages blanches » lorsque l’information manque.[9]
Le Dr Jean-Jacques Fraslin (Loire-Atlantique), qui dit consulter le DMP « 10 à 15 fois par jour », pointe un effet pervers de l’alimentation automatique : « un fouillis énorme » où « on met beaucoup de temps pour trouver les documents intéressants ».[9] Il esquisse une piste de sortie par le haut, à la façon d’un moteur de recherche clinique : « On pourrait imaginer qu'il y ait une IA » capable d’aller chercher, sur requête, « le dernier compte rendu cardiologique du patient » au milieu des fichiers PDF.[9]
Enfin, l’article rapporte la ligne du gouvernement : la ministre de la Santé Stéphanie Rist rappelle que « la date des sanctions éventuelles (…) est fixée à 2028 » et souhaite un DMP « plus ergonomique, plus simple d'accès et plus complet » pour « inciter » plutôt que contraindre.[9] En appui, la Délégation du numérique en santé (DNS) met en avant l’effet du Ségur du numérique en santé (programme de 2 milliards d’euros), avec 64 000 professionnels ayant déjà utilisé le DMP et des versements automatiques en progression : « 70% des lettres de liaison » hospitalières de sortie, « 35% » des comptes rendus de biologie et « 45% » de radiologie, selon Claire Vigier (DNS).[9]
Un conflit qui dépasse le seul numérique
La controverse DMP s’insère dans un bras de fer plus large autour du Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), devenu, depuis l’automne, un point de convergence des colères médicales.[4] Fin novembre, dans un autre papier (AFP) relayé par TF1 Info, les organisations appelaient déjà à ne plus alimenter le DMP et à « systématiser la demande de validation des arrêts de travail par le service médical » de l’Assurance maladie.[5]
Pour les syndicats, la séquence illustre une transformation de la gouvernance des soins : le DMP est perçu comme un outil qui, faute d’ergonomie et d’interopérabilité, accroît la charge plutôt qu’il ne facilite la coordination. Dans une synthèse sur l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM), L'ONDAM 2026 augure d’une cure d’austérité pour la santé rapporte que MG France qualifie l’obligation DMP de « chronophage » et « souvent inutile ».[6]
À quelques jours de l’échéance de janvier, deux paramètres restent déterminants : l’ampleur effective des fermetures (au-delà des annonces) et la précision des futurs textes d’application, susceptibles de fixer, très concrètement, l’équilibre entre incitation numérique et contrainte administrative.
Contre-expertise technique, entre promesse clinique et conditions de réussite
Sur le fond, l’idée d’un dossier partagé n’a rien d’absurde : la Cour des comptes rappelle que le DMP a été conçu, dès l’origine, pour améliorer la coordination et réduire les actes redondants, donc aussi contribuer à une meilleure maîtrise des dépenses.[10] Mais elle souligne, dans le même mouvement, que l’histoire française de ces dossiers numériques est jalonnée de relances infructueuses, faute d’usages et de contenus au rendez-vous.[10]
Le diagnostic de la Cour est utile parce qu’il n’épouse ni les éléments de langage syndicaux ni la communication institutionnelle : la réussite passe par un triptyque très concret — ergonomie, interopérabilité, exhaustivité utile — déjà pointé dans ses travaux antérieurs.[10] À défaut, l’outil risque de rester une vitrine sous-alimentée, et la sanction, un dispositif de contrainte appliqué à une infrastructure dont la maturité opérationnelle n’est pas homogène.
Les chiffres publiés par la Cour posent d’ailleurs un décor qui tranche avec certaines communications : 65,1 millions de comptes existent, mais 15 % étaient activés en janvier 2024 ; et l’effort financier reste massif, avec 0,7 milliard d’euros de dépenses prévisionnelles jusqu’en 2027 pour la CNAM, auxquelles s’ajoute une partie des 2 milliards d’euros du Ségur du numérique.[10] Ces éléments n’invalident pas le projet, mais ils rappellent qu’il se joue sur la qualité d’intégration dans les logiciels métiers et la capacité à transformer un flux de documents en information clinique exploitable.
Patients, bénéfices attendus et risques d’exclusion
La contestation actuelle gagnerait à être lue aussi depuis le patient. Dans son rappel de cadre, la CNIL insiste sur deux points structurants : l’ENS (Mon espace santé) est créé automatiquement sauf opposition, et l’accès au DMP est réservé aux professionnels autorisés, le titulaire pouvant gérer les accès et visualiser les actions réalisées sur son dossier.[12] Autrement dit, le dispositif porte une promesse d’autonomie, mais aussi une exigence de confiance.
Du côté des usages, France Assos Santé décrit une adoption « en progression » mais encore fragile : elle évoque 300 000 nouvelles activations par mois et environ 350 000 usagers qui l’utilisent chaque semaine, tandis que le volume de documents augmente fortement, avec près de 20 millions envoyés chaque mois fin 2023.[11] En parallèle, l’association pointe un maillon faible qui recoupe, cette fois, la colère des médecins : la médiation par les soignants demeure limitée. Elle relève que l’étude de la DNS estime à environ 21 % la proportion d’usagers ayant entendu parler de Mon espace santé par leur médecin, et note qu’« dans 1 cas sur 4 » l’accueil médical était défavorable dans son enquête, alors que 57 % des usagers se disent prêts à l’utiliser sur recommandation de leur médecin.[11]
Sur le plan des bénéfices concrets, la valeur ajoutée est surtout visible lorsque l’écosystème se connecte réellement : l’Assurance maladie a par exemple mis en avant l’arrivée d’une première application capable d’envoyer des données de glucose vers Mon espace santé, avec consentement du patient — un cas d’usage où la centralisation peut fluidifier la coordination entre ville et spécialités, sans multiplier les canaux.[14]
Reste un angle mort, rarement traité dans la séquence de janvier : l’inclusion numérique. Le CESE rappelle que le numérique en santé ne doit pas « creuser les inégalités d’accès aux soins » et recommande de garantir une alternative pour les publics les plus éloignés, ainsi qu’un accompagnement à l’ouverture de Mon espace santé, notamment lors de la délivrance de la carte Vitale à 16 ans.[13] Pour les médecins, ce point n’est pas périphérique : la fracture numérique, en aval, retombe souvent sur le cabinet, sommé d’expliquer, de rattraper, puis d’être sanctionné si l’outil n’est ni compris ni utilisé.
Degré de preuve, entre textes, données et déclarations
Une clarification s’impose, tant la grève se nourrit d’un mélange de normes, de chiffres et de vécu.
Documenté : les montants de sanction et leurs plafonds, ainsi que la liste des documents concernés, relèvent du corpus législatif et des synthèses de fin de navette (PLFSS 2026) ; ils sont cités ici tels qu’exposés dans les sources juridiques et professionnelles.[3]
Déclaratif : les critiques d’ergonomie, de lenteur, d’illisibilité ou de « fouillis » proviennent de témoignages (presse) et d’échanges en ligne. Ils sont précieux pour comprendre la conflictualité, mais ne constituent pas, à eux seuls, une évaluation indépendante de performance.[9][8]
Dépendant des textes d’application : la notion de « manquement », les exemptions et les modalités de contrôle conditionneront l’ampleur réelle du dispositif. C’est précisément ce second étage qui, à ce stade, reste le plus indéterminé.[3]
Temps médical, attractivité et reconnaissance au coeur des enjeux
La controverse ne se joue pas seulement dans les communiqués syndicaux. Sur LinkedIn, Philippe Decaen, directeur de CPAM, a relayé l’article du Figaro et formulé une critique frontale de la stratégie de boycott : à ses yeux, l’outil est perfectible, mais le refus de principe n’est pas défendable, et un « décentrement » du côté des patients permettrait d’en saisir l’intérêt.[7] Cette prise de parole, institutionnelle mais personnelle, n’annule pas les difficultés d’usage : elle dit, en creux, que l’administration ne lit pas seulement la grève comme un conflit tarifaire ou technique, mais comme un rapport à la responsabilité collective.
Dans les commentaires réunis dans le document transmis, on retrouve pourtant un fil majoritaire : l’opposition ne vise pas toujours le principe d’un dossier partagé, mais l’obligation assortie d’une pénalité.[8]
Le second fil conducteur tient aux usages concrets : lenteur d’accès, parcours de connexion complexe, et sentiment d’illisibilité. Plusieurs messages assimilent le DMP à « une succession de PDF » qui rend la recherche d’information peu compatible avec une consultation chronométrée.[8]
Ces critiques techniques se doublent d’une question de temps médical : au rythme de consultations soutenues, le renseignement du DMP n’est jugé soutenable qu’avec une automatisation entre logiciel métier et plateforme, faute de quoi le surcroît de charge se reporte sur le cabinet et le secrétariat.[8]
Enfin, une part de la discussion glisse vers la confiance et la gouvernance des données : consentement, sécurité, et soupçons d’élargissement des accès. Pris ensemble, ces échanges dessinent une conclusion pragmatique : la contestation s’enracine moins dans l’existence d’un dossier partagé que dans la manière de l’imposer, au moment même où l’outil est perçu comme incomplet, inégalement intégré et chronophage.[8]
Références
1. TF1 Info (avec AFP), « Appel à la grève en janvier maintenu par les médecins libéraux », 12 décembre 2025. https://www.tf1info.fr/societe/appel-a-la-greve-en-janvier-maintenu-par-les-medecins-liberaux-2412514.html
2. Egora, « Jusqu'à 10 000 euros d'amende en cas de non alimentation du DMP : "Ce n'est pas un dispositif de sanction de masse", rassure la Cnam », 23 décembre 2025. https://www.egora.fr/actus-pro/sante-numerique/jusqua-10-000-euros-damende-en-cas-de-non-alimentation-du-dmp-ce-nest-pas
3. Caducee.net, « PLFSS 2026 : dernières mesures pour les soignants avant le vote », 7 décembre 2025. https://www.caducee.net/actualite-medicale/16713/plfss-2026-dernieres-mesures-pour-les-soignants-avant-le-vote.html
4. Caducee.net, « Grève des médecins du 3 décembre : du Sud-Est à l’échelle nationale, un bras de fer autour du PLFSS 2026 », 25 novembre 2025. https://www.caducee.net/actualite-medicale/16699/greve-des-medecins-du-3-decembre-du-sud-est-a-l-echelle-nationale-un-bras-de-fer-autour-du-plfss-2026.html
5. TF1 Info (avec AFP), « Budget de la Sécu : appel à une grève "sans précédent" des médecins libéraux début janvier », 26 novembre 2025. https://www.tf1info.fr/sante/budget-de-la-securite-sociale-2026-appel-a-une-greve-sans-precedent-des-medecins-liberaux-debut-janvier-2409176.html
6. Caducee.net, « L'ONDAM 2026 augure d’une cure d’austérité pour la santé », 17 octobre 2025. https://www.caducee.net/actualite-medicale/16673/l-ondam-2026-augure-d-une-cure-d-austerite-pour-la-sante.html
7. Philippe Decaen (LinkedIn), « Publication relayant l’article du Figaro et commentaire sur l’obligation DMP », consulté le 29 décembre 2025. https://www.linkedin.com/posts/philippe-decaen-93a51434_inacceptable-les-médecins-libéraux-en-activity-7409169720320507904-KaiD?utm_source=share&utm_medium=member_desktop&rcm=ACoAAAkfq1oBPOOrrabTzChcj-04gM8ZTxWUtyw
8. Commentaires en ligne sur ,le POST de Philippe Decaen sur le DMP ».
9. Le Figaro (avec AFP), « "Inacceptable" : les médecins libéraux en colère contre l’obligation d’utiliser le dossier médical partagé », 23 décembre 2025. https://www.lefigaro.fr/conjoncture/inacceptable-les-medecins-liberaux-en-colere-contre-l-obligation-d-utiliser-le-dossier-medical-partage-20251223
10. Cour des comptes, « "Mon espace santé" : des conditions de réussite encore à réunir », Rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale, 29 mai 2024. https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2024-05/20240529-Ralfss-2024-Mon-espace-sante.pdf
11. France Assos Santé, « Mon Espace Santé souffle ses deux ans : résultats encourageants mais efforts à poursuivre », 8 février 2024. https://www.france-assos-sante.org/actualite/mon-espace-sante-souffle-ses-deux-ans-resultats-encourageants-mais-efforts-a-poursuivre/
12. CNIL, « L’espace numérique de santé (ENS ou Mon espace santé) et le dossier médical partagé (DMP) : questions-réponses », 12 avril 2022. https://www.cnil.fr/fr/lespace-numerique-de-sante-ens-ou-mon-espace-sante-et-le-dossier-medical-partage-dmp-questions
13. CESE, « Synthèse – Pour un numérique en santé souverain, de confiance et inclusif », 25 mars 2025. https://www.anpp.fr/wp-content/uploads/2025/06/Synthese-rapport-CESE-Numerique-et-sante.pdf
14. Caducee.net, « LibreView devient la première appli à alimenter Mon espace santé en données de glucose », 26 septembre 2025. https://www.caducee.net/actualite-medicale/16659/libreview-devient-la-premiere-appli-a-alimenter-mon-espace-sante-en-donnees-de-glucose.html
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