Prévention cardiovasculaire : les polyphénols confirment leur intérêt dans une cohorte de 3 110 adultes

Prévention cardiovasculaire : les polyphénols confirment leur intérêt dans une cohorte de 3 110 adultes Une étude de cohorte publiée en 2025 dans BMC Medicine suggère qu’un régime alimentaire riche en polyphénols s’accompagne, sur plus d’une décennie de suivi, d’un profil de risque cardiovasculaire plus favorable. L’originalité du travail repose sur la combinaison d’un score diététique et de biomarqueurs urinaires, offrant un regard croisé sur les apports et l’absorption réelle de ces composés d’origine végétale.[1]

Un design longitudinal combinant questionnaire alimentaire et métabolomique

L’étude exploite les données de 3 110 adultes de la cohorte TwinsUK, suivis en moyenne 11,2 ± 7 ans. Les habitudes alimentaires ont été recueillies grâce à un questionnaire de fréquence alimentaire (FFQ, Food Frequency Questionnaire) dérivé de l’outil EPIC-Norfolk. À partir de ces données, les auteurs ont élaboré un score diététique, le PPS-D (polyphenol-rich pattern score – dietary), calculé sur la consommation d’environ vingt groupes d’aliments riches en (poly)phénols : thé, café, fruits (baies, agrumes, pommes), légumes, noix, céréales complètes, huile d’olive, chocolat, etc.[1]

Pour objectiver l’exposition, un sous-groupe de 200 participants a fourni un échantillon d’urine ponctuel, analysé par chromatographie–spectrométrie de masse. Cent quatorze métabolites dérivés des polyphénols ont été quantifiés afin de construire une signature métabolomique, le PPS-M (polyphenol-rich pattern score – metabolomic). Cette double approche permet de rapprocher les déclarations alimentaires d’un marqueur biologique d’absorption.[1]

Les auteurs ont ensuite étudié l’association entre PPS-D ou PPS-M et plusieurs marqueurs de risque cardiovasculaire : le score de risque d’athérosclérose ASCVD (Atherosclerotic Cardiovascular Disease risk score), le HeartScore, la pression artérielle et le profil lipidique. Les modèles mixtes étaient ajustés sur l’âge, le sexe, l’indice de masse corporelle, l’apport énergétique, les fibres, le sodium, l’alcool et d’autres facteurs de confusion possibles.[1]

Des associations significatives mais d’ampleur modérée

Globalement, un PPS-D plus élevé est associé à des scores de risque cardiovasculaire plus faibles. Les auteurs rapportent un coefficient standardisé (stdBeta) de −0,05 pour le score ASCVD et de −0,03 pour le HeartScore, avec une significativité conservée après correction pour comparaisons multiples (FDR < 0,01).[1]

Dans le sous-échantillon métabolomique, plusieurs métabolites – notamment certains flavonoïdes, acides phénoliques et composés de type tyrosol – sont corrélés à une pression artérielle diastolique plus basse, à un cholestérol HDL plus élevé et à des scores ASCVD et HeartScore un peu moins élevés.[1]

Des estimations plus concrètes sont fournies à partir d’analyses complémentaires : une augmentation de l’ordre de 100 g/jour de thé ou de café (soit environ une demi-tasse) serait associée à une baisse relative du score ASCVD d’environ 0,75 % et 1,3 % respectivement, ce qui confirme un effet plutôt modeste mais cohérent avec d’autres données épidémiologiques sur ces boissons.[4]

Ce que disent les auteurs et les experts

Dans un communiqué du King’s College London, l’équipe de recherche résume ainsi ses résultats : les personnes dont l’alimentation est la plus riche en aliments et boissons riches en polyphénols – notamment thé, café, baies, noix, céréales complètes et huile d’olive – présentent, à long terme, un profil de risque cardiovasculaire plus favorable que celles qui en consomment peu.[2]

« Nos résultats suggèrent qu’un régime globalement riche en aliments contenant des polyphénols pourrait contribuer à ralentir la progression du risque cardiovasculaire au fil du temps. »[2]

Interrogée par le Science Media Centre, une représentante de la British Heart Foundation souligne que cette étude s’inscrit dans un corpus croissant de travaux associant une alimentation riche en polyphénols – présents dans les légumes, les noix, le café, le thé ou l’huile d’olive – à une meilleure santé cardiaque. Elle rappelle toutefois qu’il s’agit d’une étude observationnelle et que « d’autres recherches seront nécessaires pour confirmer ces associations et apprécier le rôle des autres facteurs de mode de vie ». En somme, le message va dans le bon sens, mais il ne s’agit pas d’une baguette magique.[3]

La presse médicale, notamment Le Quotidien du Médecin et EMJ, insiste de son côté sur l’intérêt pratique d’un score global de consommation de polyphénols qui reflète des habitudes alimentaires réelles, plutôt que l’effet d’un composé isolé.[4][5]

Limites méthodologiques et portée clinique

Plusieurs éléments invitent néanmoins à la prudence dans l’interprétation clinique des résultats. Tout d’abord, la cohorte est très homogène : environ 97 % des participants sont des femmes et 99 % sont d’origine caucasienne. La transposition à des populations masculines, à d’autres origines ethniques ou à des patients polypathologiques reste donc incertaine.[1]

Ensuite, le travail s’intéresse à des marqueurs de risque (scores prédictifs, pression artérielle, lipides) et non à des événements cliniques durs : infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral ou mortalité cardiovasculaire. Les experts consultés par le Science Media Centre rappellent qu’il est impossible, sur cette base, d’affirmer que l’augmentation de la consommation d’aliments riches en polyphénols réduit effectivement les événements cardiovasculaires, même si l’hypothèse est plausible.[3]

La composante métabolomique repose par ailleurs sur un sous-échantillon limité à 200 personnes. Si elle apporte un niveau de preuve supplémentaire, la puissance statistique est réduite et certaines associations ne franchissent plus le seuil de significativité après correction pour comparaisons multiples.[1]

Enfin, l’étude reste observationnelle. Malgré des ajustements étendus, un résidu de confusion est probable : régime global plus sain, niveau d’activité physique, statut socio-économique, prise de traitements cardioprotecteurs, etc. C’est là que « le diable se cache dans les détails » : la part exacte attribuable aux polyphénols eux-mêmes demeure difficile à isoler.

Polyphénols, stress oxydatif et prévention cardiovasculaire

Les résultats de TwinsUK s’inscrivent dans un contexte physiopathologique déjà bien documenté. Les polyphénols, largement présents dans les fruits, légumes, noix, mais aussi dans le vin, le thé ou le cacao et le chocolat noir, exercent des effets antioxydants, en piégeant les radicaux libres et en limitant l’oxydation des lipides circulants. Cette action sur le stress oxydatif pourrait contribuer à retarder l’athérogenèse et à préserver la fonction des HDL.[5]

Des dossiers de synthèse publiés sur Caducee.net rappellent également que les polyphénols du vin rouge et d’autres végétaux stimulent certaines voies vasoprotectrices, tandis que les études de cohorte associent de façon répétée la consommation de fruits et légumes à une réduction de la mortalité cardiovasculaire et du risque d’AVC. TwinsUK ne fait donc pas cavalier seul, mais apporte une pièce de puzzle supplémentaire en reliant score diététique, métabolites urinaires et scores de risque.

Quelles implications pour la pratique et la recherche ?

Pour les praticiens impliqués en prévention primaire, l’étude apporte surtout un argument supplémentaire pour promouvoir un modèle alimentaire riche en végétaux variés : thé ou café peu sucré, fruits frais, légumes de couleur, noix, céréales complètes, huile d’olive. L’objectif n’est pas de « prescrire » un gramme de polyphénols, mais d’aider les patients à faire évoluer durablement leur assiette vers ces aliments peu transformés, souvent déjà recommandés dans les lignes directrices cardiologiques.[2]

Du côté de la recherche, plusieurs pistes se dessinent :

– des essais randomisés comparant un régime enrichi en aliments riches en polyphénols à un régime témoin, avec comme critères principaux des événements cardiovasculaires durs ;
– des cohortes plus diversifiées, tant sur le plan démographique que clinique, pour tester la robustesse des associations observées ;
– le recours plus systématique aux biomarqueurs (métabolomique, profils d’excrétion urinaire) pour mesurer l’adhésion aux interventions alimentaires.

Au total, TwinsUK confirme la cohérence d’un message déjà porté par de nombreuses données : un régime globalement riche en polyphénols semble aller de pair avec une meilleure santé cardiovasculaire. Reste à transformer cette promesse statistique en bénéfice clinique démontré, ce qui exigera des essais d’intervention bien conçus.

Références

[1] Li Y, et al. Higher adherence to (poly)phenol-rich diet is associated with lower CVD risk in the TwinsUK cohort. BMC Medicine. 27 novembre 2025. Disponible sur : https://link.springer.com/article/10.1186/s12916-025-04481-5

[2] King’s College London. Polyphenol-rich diets linked to better long-term heart health. Communiqué de presse. 2025. Disponible sur : https://www.kcl.ac.uk/news/polyphenol-rich-diets-linked-to-better-long-term-heart-health

[3] Science Media Centre. Expert reaction to study looking at polyphenol-rich diets and long-term heart health. 2025. Disponible sur : https://www.sciencemediacentre.org/expert-reaction-to-study-looking-at-polyphenol-rich-diets-and-long-term-heart-health

[4] Le Quotidien du Médecin. Une alimentation riche en polyphénols est associée à une meilleure santé cardiovasculaire. 2025. Disponible sur : https://www.lequotidiendumedecin.fr/specialites/cardiologie/une-alimentation-riche-en-polyphenols-est-associee-une-meilleure-sante-cardiovasculaire

[5] EMJ Reviews. Polyphenol-rich diet linked to lower heart disease risk. 30 novembre 2025. Disponible sur : https://www.emjreviews.com/general-healthcare/news/polyphenol-rich-diet-linked-to-lower-heart-disease-risk

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